lundi 2 décembre 2013

Le déclin de la criminalité dans les pays développés


Un article de la revue « Sciences Humaine » (n°253, Novembre 2013) relayant lui-même des articles de « The Economist » (The Curious Case of the Fall in Crime et Where have all the burglars gone? , juillet 2013) a attiré mon attention en cette période de poujadisme sécuritaire. Les faits divers d’atteintes aux biens et personnes remplissent les journaux et les conversations de comptoir : Marseille encore et toujours, telle histoire familiale sordide d’une mère qui assassine ses 4 enfants, les casses de la côte d’Azur ou encore le métro à Paris… En revanche, les études sérieuses sur la criminalité ne font pas la une des médias. C’est l’une des hérésies du milieu journalistique, très bêtement piloté par la logique de l’audience court terme.

Une tendance de fond

Or les tendances de fond sur la criminalité lourde d’atteinte aux personnes (Homicides, coups et blessures) et aux biens (Vols de voiture, cambriolage) sont très nettes : l’ensemble des ratios de criminalité par habitant sont en chute très significative et ininterrompue depuis 1990 dans l’ensemble des pays occidentaux dits « développés » : l’Amérique du Nord et Angleterre, toute l’Europe du Nord et de l’Ouest, ce qui inclut la France.  Dans certains pays les homicides ont chuté de 70% ; à New York, la criminalité a été divisée par quatre. Au global la criminalité a baissé d’un tiers avec un trend plus ancien aux Etats Unis (1990) et plus tardif en France (2001).








Il n’y a pas d’explication monolithique du déclin de la criminalité

La tendance est lourde et très largement partagée par les criminologues. En revanche, il n’y a pas  d’accord sur le rôle des facteurs d’explication : politique répressive plus ou moins efficace, progrès très sensibles de la police et de ses méthodes d’investigation et de prévention, facteur démographique favorable du fait du vieillissement des populations occidentales, fin de la distribution de drogues très criminogènes (Crack)  compensée par une croissance des toximanies peut-être moins criminogènes, les alarmes de voiture et caméras de surveillance privées et publiques...
Aucun de ces facteurs ne monopolise l’explication de la chute de la criminalité : les pays d’Europe du Nord et le Canada n’ont pas augmenté la répression et pourtant la criminalité a baissé comme ailleurs.  A Londres et dans beaucoup de villes américaines, la population a plutôt rajeunie et pourtant la criminalité a chuté.
Certains chercheurs ont même avancé une hypothèse saugrenue : les lois de libéralisation de l'avortement seraient à l'origine du déclin de la criminalité, en évitant la vie a des enfants non souhaités qui auraient eu de grandes chances de devenir délinquant s'ils avaient vécus... Mais le raisonnement ne tient pas car l'avortement existait avant sa dépénalisation et la temporalité de la dépénalisation de l'avortement ne coïncide pas avec celle du déclin de la criminalité. 


Le processus de civilisation

Pour ma part, je pense que cette chute de long terme de la criminalité est l’une des manifestations du processus de civilisation (Norbert Elias, "Sur le processus de civilisation" 1° édition en 1939).  Dans des sociétés pacifiées, sous emprise sans cesse montante de l’idéologie et de la démocratisation de la connaissance, avec allongement et l’alternance des périodes d’éducation/formation, la tertiarisation généralisée, des architectures pour des modes de de vie plus doux, les incitations au crime se font plus rares.
Autre coïncidence : 1990 c’est la naissance de l’Internet pour tous, 1995 Google et aujourd’hui les réseaux et jeux sociaux. Lorsque les jeunes générations consacrent des heures a des activités sociales, ludiques ou éducatives sur Internet, elles ne traînent pas désœuvrés dans la « jungle » urbaine. Quelque actes délictueux sur Internet valent bien  des milliers d’homicides en moins.
Utopiste, idéaliste debout ! Le processus de civilisation est en marche.


Le retard français sur l’ouverture des données de criminalité

Certes, la criminalité est en déclin, mais tous les problèmes ne sont pas résolus et, la police le sais bien, il faut connaître le crime "d" l'intérieur" pour l’éradiquer. Sur ce sujet, les données publiques française sont lacunaires, elles manquent vraiment de transparence et de précision. La collecte est en place, les statistiques de criminologie sont issues des « mains courantes » des  commissariats de police.
Mais prétextant la confidentialité, la dissémination de ces données de criminologie locale est très pauvre en France. Le ministère de l’intérieur publie des chiffres départementaux très macro. Or, pour bien comprendre et agir sur la criminalité, la géolocalisation précise de  l’ensemble des actes délictueux est la condition nécessaire. La densité de crime est très hétérogène sur le territoire. Il existe des points chauds de forte concentration des crimes. On doit identifier les contours de ces zones sensibles pour toutes les actions préventives et curatives.
Dans les pays Anglo-Saxon les cartes de "HotSpot" de criminologie sont diffusées au grand public. Les services de police disposent depuis de nombreuses années de bases de données d’actes délictueux finement localisés et des capacités de cartographie analytique pour des investigations et un ratissage plus efficace du territoire. L’observation des corrélations géographiques fines entre les caractéristiques socio-économiques d’une micro-zone et  son niveau de criminalité permet de mieux comprendre pourquoi la criminalité agit à tel ou tel endroit et pourquoi elle décline.
Dans les pays anglo-saxon, les micro-données et la cartographie statistique de la criminalité sont largement diffusés. En France, nous souhaitons l’ouverture d’une version anonyme et géo-localisable du fichier des mains courantes.   Que fait l’Open Data sur le sujet ?


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