Avant propos
Ce
billet s’adresse aux parents d’élèves en classe de CM2 (7°) ainsi qu’à tous les
parents de collégien(ne)s. Mais il
pourra aussi bien sur intéresser le corps enseignant du 1° cycle des collèges
et interpeller les responsables d’académies ou nationaux de l’Education
Nationale.
Le
choix d’un collège est moins anecdotique qu’on peut le penser. L’école est une machine à classer les élèves
et cette logique du classement est à l’œuvre dès l’entrée en 6°. Mieux vaut
être bien informé sur ce point. Personnellement, je n’étais pas bien informé
lorsque mes enfants sont entrés au collège, il y a quelques années. Je n’aurai sans doute pas fait les mêmes
choix si j’avais lu ou écrit ce billet à cette époque !
Trois collégiens sur quatre passent leurs brevet avec un collège public
Le
secteur public regroupe 71% de l’ensemble des 8 426 collèges de France
métropolitaine. Ce secteur a présenté 76% de la cohorte de 720 000 collégiens
de 3° au brevet des collèges en 2012. La scolarisation en public est donc la
règle pour les collégiens français. Mais le secteur privé n’est pas marginal.
Il a lui même présenté plus de 170 000 collégiens candidats au brevet. La
comparaison des performances de réussite entre les candidats du privé et ceux
du public mérite un détour.
Les
collèges d’excellence : domination du privé
La
liste des 30 premiers collèges français comprend exclusivement des collèges
privés. Les premiers collèges publics arrivent très tardivement dans le
classement : les loges à Saint Germain en Laye (Yvelines) est classé 32°,
le collège international de Valbonne dans les Alpes Maritimes est 43°, Pierre de Fermat à Toulouse figure en
55° position.
Top
30 des collèges selon leur réussite au Brevet : 100% issu du secteur privé
Les
collèges « cancres » : des très petits collèges des deux
secteurs ou des grands collèges publics
En
bas de la liste des collèges aux performances très médiocres, on trouve
cependant de nombreux petits collèges présentant moins de 30 élèves très
souvent issus du secteur privé avec de mauvais résultats.
En
revanche pour les 3262 « grands » collèges présentant plus de 100
éléves au Brevet, le bas du classement
des collèges français est quasi exclusivement composé de collèges publics.
Par « discrétion », on ne nommera ni ne listera directement
aucun de ces collèges « cancres ». J’ai cependant développé une
application de consultation de la base de données des collèges qui vous permet
de vous faire votre idée : lien
vers le dataViz de la réussite des collèges.
D’importants écarts de performance inter académie entre les deux secteurs
En France métropolitaine, les deux académies de Paris et
Rennes ouvrent la marche avec de bons indicateurs de réussite tandis que Rouen
et Reims ferment le classement.
Indice brut de réussite des collèges par académie et carte par département
Mais ce classement assez resserré masque d’importantes distorsions privé/public selon les académies.
Le graphique suivant positionne chaque académie sur le plan du taux d’admis (X) et du taux mentions parmi les admis (Y) avec la décomposition des deux secteurs privés et publics.
Les points du secteur privé des académies (matérialisés par
un carré) figurent très majoritairement en haut et à droite de leur homologue
du public (matérialisés par un cercle). Les académies de Paris, Créteil,
Versailles, Nice sont emblématiques de cette domination du privé.
Les collèges du secteur privé parisien tirent l’académie
vers le haut. Le secteur public parisien est en revanche plutôt mal classé, très
éloigné du secteur privé. La distance entre la réussite des collèges privés et
public est maximale sur cette académie. A Rennes, les deux secteurs sont
beaucoup plus homogènes et présentent tous les deux de bonnes performances.
Zoomons maintenant ces résultats à l’échelle départementale.
Pour le secteur public, tous les départements Bretons (île et Vilaine,
Morbihan, Finistère, Cote d’Armor et
même … la Loire Atlantique) partagent le
haut du classement avec la Haute-Garonne. Paris et tous les départements de la région île de France sont assez mal
classés sur le secteur public. Les 117
collèges publics du Val d’Oise et les 124 collèges publiques de la Seine Saint Denis sont
respectivement classés avant dernier et dernier des collèges publics avec des
indices de réussite très faibles de 0,6 (vs 1 pour la moyenne France).
Pour le privé, ce sont les départements d’Île de France, Bretons
et d’Alsace qui sont aux premiers rangs.
Notons que les 33 collèges privés de Seine Saint-Denis et les 29 collèges
privés du Val d’Oise figurent dans le haut du classement et connaissent de très
bons indices de réussite (respectivement 1.4 et 1.5). Dès lors les écarts de réussite
privé/public sont maximums dans les départements d’Île de France, en Alsace, ainsi
que dans les zones à forte densité urbaine du Var et des Alpes maritimes, à
Lyon et dans le Nord.
Géographie départementale des écarts de réussite au collège
entre le secteur public et le secteur privé
Cependant, pour plus de la moitié des départements les moins peuplés et
sans grande métropole, le collège public dépasse ou fait jeu égal avec le
collège privé. La Haute-Garonne avec Toulouse est le seul département à dominante urbaine avec un secteur
public plus performant que le privé. La domination du privé n’est donc pas
uniforme sur le territoire. La dichotomie entre des ghettos scolaires riches,
sélectifs et performants pour le privé, et des ghettos déshérités et avec un
fort taux d’échec pour le public est l’apanage des très grandes agglomérations
avec un point haut à Paris et sa banlieue.
Ce constat assez désolant d’un premier cycle à deux vitesses avec fort
déséquilibre privé/public dans les plus grandes agglomérations est le reflet de
la situation du collège aujourd'hui. Mais on peut penser qu’il y a eu une accentuation de la divergence Privé/Public au collège au
tournant du millénaire. Les précédentes générations de collégiens et de parents
collégiens ont vécu sans doute des situations plus atténuées. Cette hypothèse est à
éclaircir avec des données historiques auxquelles nous n’avons malheureusement pas accès.
Les plus grands collèges sont plus performants : de
nombreux trop petits collèges pourraient fusionner !
En collège public comme en privé, le taux de réussite et le taux de
mention croit avec la taille des collèges. On constate ces variations de
performances dans toutes les académies. Le taux de mentions des petits
collèges présentant moins de 50
candidats au brevet (53%) est 13 points
en dessous du national (66%).
Taux de réussite et de mentions parmi les admis par secteur
et
selon le nombre de candidats au DNB
Pour les 2617 plus petits collèges (moins de 50 présents soit 2 classes de 3° et moins) également répartis entre les
deux secteurs, le privé ne fait guère mieux que le public.
Il n’est pas
étonnant de compter le plus d’admis avec mention au sein des 802
« gros » collèges (150 à 200 candidats) et des 199 « très
gros » collèges. Les collèges les
plus performants sont aussi les plus demandés (par les parents d'élèves et les enseignants) et on y ouvre donc plus de
classes. S’il n’est pas certain qu’il soit rationnel et possible de développer des "usines" à collégiens, un
travail de rationalisation mérite d’être engagé pour fusionner de nombreux trop
petits collèges et adapter la sectorisation associée en renvoyant ces élèves
vers de plus grands établissements. Une importante capacité d’accueil engendre des
économies d’échelles sur les coûts des infrastructures et des gains de cohésion/stimulation pédagogique avec un corps professoral plus important.
Le privé, plus souvent dans les zones aisées, mais ce n'est pas systématique.
Les déterminants sociaux de la réussite scolaire sont bien
connus et très prégnants. Les Filles réussissent mieux que les garçons, les
enfants des milieux intellectuels, aisées et/ou sensibilisé à la question
scolaire (enfants d’enseignants) ou encore les enfants précoces réussissent
mieux leurs examens que les autres. Le brevet des collèges n’échappe pas à la
logique déterministe de la réussite scolaire. Sur ce point, je renvoie vers les
tableaux du ministère de l’éducation nationale à propos de
la réussite au diplôme national du brevet : sexe, âge et origine sociale. On pense avec quelques bon arguments que la performance
insolente du secteur privé au brevet est liée pour tout ou partie à une composition sociale des collégiens du
privé très distincte de celle du public.
Les collèges privés ont la liberté de
choix de leurs élèves, c'est moins le cas pour les collèges publics du fait de
règles de sectorisation géographique. Le ministère de l'éducation ne diffuse malheureusement
pas d'informations sur la composition du public des élèves de chaque collège.
Nous ne pouvons donc pas distinguer pour chaque collège la réussite liée à la
composition sociale des élèves et la réussite liée à une pédagogie et une
gestion efficace du corps enseignant. Les écarts de réussite entre
collèges sont la conséquence :
- des effets de
ségrégation sociale à l'entrée des collèges (ségrégation spatiale du fait de la
carte scolaire, stratégie parentale de localisation sur un bon secteur
scolaire, politique de sélection de certains collèges privés…) ;
- des choix et règles
d'affectation des enseignants vers les collèges ;
- de la politique pédagogique
de chaque collège.
Avec les « moyens du bord », j’essaye donc de contrôler statistiquement les déterminants sociaux de la réussite au brevet afin
de tester l’hypothèse d’un apport qualitatif managérial du privé par rapport au
secteur public. J’ai ventilé les indices de réussite de chaque collège en
fonction des caractéristiques sociales de leur localisation. J’ai choisi le
niveau de revenu fiscal moyen des ménages du quartier (Iris) comme indicateur proxy de synthèse de l’environnement et de la composition sociale du public collège.
Sans surprise pour le public comme pour
le privé, les collèges des beaux quartiers performent mieux que ceux des zones
défavorisés. L’implantation du privé est aussi plus tournée vers les beaux
quartiers : 39% des collèges sont privés dans les zones avec un revenu
moyen par ménage de + de 50000 € (versus 29% au national). Mais la réussite du secteur
privé est constamment supérieure à celle du public, quelque-soit la tranche de
revenu. De façon surprenante, les écarts de réussite entre les secteurs privés
et public sont plus forts aux deux tranches extrêmes des bas et des hauts
revenus. Peut-on donc affirmer que le secteur privé forme mieux les élèves au
brevet que le secteur public ? Ce serait hâtif à partir des données
parcellaires que nous exploitons ici. Il existe cependant un sérieux faisceau
d’indices pour pousser des études complémentaire à éprouver cette hypothèse.
Répartition des indicateurs de réussite au brevet par
secteur privé/public
et selon le revenu moyen des ménages du quartier du collège
Toutes les statistiques de mesure de
performances collectives ou individuelles sont sujettes à caution, discussion,
remise en cause, etc. Tout un chacun accepte un classement s’il figure en haut
de la liste et le conteste si ce n’est pas le cas. J'ai bien conscience qu'il
n'y a pas de vérité absolue sur ce type sujet. De multiples facteurs
qualitatifs ou lié à l'histoire et la géographie scolaire locale méritent
d'être intégrés dans l'évaluation d'un établissement scolaire. Le professionnel
de la statistique compose avec les sources dont il dispose. En l'occurrence les
sources publiques sur le fonctionnement des collèges sont relativement pauvres
et peu transparentes. Les pouvoirs publics craignent peut être que la
publication des inégalités territoriales au collège accroissent les phénomènes
d'auto sélection et de "ghettoïsation" du territoire : ghettos
de riches avec les bons collèges et ghettos pauvres scolairement déshérités.
Mais la politique de l’autruche est-elle tenable sur le long terme de la
politique d’éducation ?